Entre les ambitions climatiques et les réalités économiques, l’industrie du gaz recherche sa place dans le monde faible en carbone.
Le gaz naturel, longtemps perçu comme une énergie fossile moins polluante que le charbon ou le pétrole, est aujourd’hui à la carrefour. Dans un contexte de crise énergétique et de transition écologique, son rôle est plus que jamais débattu. Alors que certains le voient comme un allié temporaire envers la neutralité du carbone, d’autres croient qu’il doit également être progressivement abandonné. Le secteur, pour sa part, tente un mue technologique et stratégique pour survivre à cette nouvelle ère.
Une énergie suspendue dans les objectifs climatiques
Depuis les accords de Paris en 2015, la pression s’est intensifiée sur tous les combustibles fossiles, y compris le gaz. Cependant, le gaz naturel est souvent présenté comme un «moins mal»: il émet environ 50% de Co₂ moins que le charbon pour produire de l’électricité. C’est ce qui a justifié, ces dernières années, son augmentation de la puissance dans plusieurs pays, en particulier en Europe pour remplacer les centrales électriques à charbon.
Mais cette image avantageuse est de plus en plus remise en question. Le gaz reste un combustible fossile, donc incompatible avec les ambitions de la neutralité du carbone d’ici 2050. Pire, les fuites de méthane – un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que le co₂ – tout au long de la chaîne de production et de transport posent un véritable problème environnemental. Selon l’International Energy Agency (IAI), 82 millions de tonnes de méthane ont été rejetées en 2022 par l’industrie des fossiles, dont une grande partie provient du gaz.
Le choc de la guerre en Ukraine: accélérateur ou frein?
La guerre en Ukraine a bouleversé les soldes du marché du gaz. L’Europe, qui dépendait de 40% du gaz russe avant le conflit, a dû réagir en cas d’urgence. Résultat: explosion des prix, inflation, mais aussi diversification des sources d’offre. Le gaz naturel liquéfié (GNL), importé en particulier des États-Unis et du Qatar, a pris le relais, au prix des contrats coûteux et une forte dépendance à l’égard des marchés mondiaux.
Paradoxalement, cette crise a servi de levier à certaines politiques de transition. L’Union européenne a lancé le plan RepuOWeu pour réduire sa dépendance à l’égard du gaz russe par les deux tiers d’ici 2025, en se concentrant sur les économies d’énergie, l’électrification et les gaz renouvelables. Mais à court terme, la renaissance de certaines centrales électriques à charbon pour compenser le manque de gaz illustre également les contradictions de la période.
Une industrie qui essaie de verdurer
Face à la critique et à la pression réglementaire, les principaux acteurs du gaz multiplient les initiatives pour verter leur image. Le développement du biométhane, résultant de la fermentation des déchets organiques, accélère en Europe, avec des objectifs ambitieux: en France, le GRDF veut connecter 20% de gaz vert dans son réseau d’ici 2030. Le gaz synthétique, produit à partir d’hydrogène et de co₂ capturé, est également le sujet de démonstrateurs, bien que pas très mature.
Une autre piste: Capture et stockage du carbone (CCS), qui continueraient d’exploiter le gaz tout en neutralisant ses émissions. Des projets comme Northern Lights (Norvège) ou Porthos (Pays-Bas) visent à stocker le CO₂ dans les anciens dépôts sous-marins. Mais ces technologies restent coûteuses et débattent: ne sont-elles pas susceptibles de prolonger artificiellement la durée de vie des combustibles fossiles?
Un endroit résiduel dans le mélange de demain
Dans les scénarios à faible teneur en carbone établis par RTE ou AIE, le gaz conserve une place marginale mais stratégique dans les décennies à venir. Il pourrait servir de solution de sauvetage en cas de pics de consommation, ou plus pour stabiliser les réseaux électriques fortement fournis par les énergies renouvelables. Cette fonction de «sauvegarde» est basée sur l’infrastructure existante et une grande réactivité, mais elle implique de limiter considérablement les volumes utilisés.
Les gouvernements, pour leur part, adaptent leur législation. En France, les chaudières à gaz sont progressivement bannies des nouvelles constructions. En Allemagne, un compromis controversé prévoit la cessation de l’équipement 100% fossile de 2024. La trajectoire est claire: l’avenir énergétique européen sera moins de gaz.
Un tournant à ne pas manquer
L’industrie du gaz est aujourd’hui confrontée à un dilemme historique: résister au changement du risque de devenir obsolète ou de s’adapter et de se réinventer. Les signaux envoyés par les politiques climatiques, les investisseurs et les consommateurs laissent peu de doute. La transition est en cours et le gaz doit prouver qu’il peut participer activement.
Pour réussir dans ce transfert, il faudra des investissements massifs, des innovations techniques et surtout un cadre réglementaire cohérent. Le gaz naturel n’est plus l’énergie de l’avenir, mais il peut toujours être celui de la transition, à condition que vous sachiez quand et comment vous inculper.