Alors que l’intelligence artificielle (IA) redéfinit profondément les modes de production et de traitement du droit dans le monde, certaines juridictions ont décidé de s’engager, en amont, dans une réflexion stratégique et éthique sur son intégration. C’est le cas de la Cour de cassation française, dont le rapport publié en avril 2025 constitue un exemple méthodologique solide: identification des utilisations pertinentes, critères d’évaluation rigoureux, gouvernance souverain des données et affirmation claire de la primauté du juge.
Mais le Maroc n’est pas la France. Et s’il est légitime d’informer des approches étrangères, il est tout aussi essentiel de rappeler que notre pays a des références propres – constitutionnelles, culturelles, juridiques et spirituelles – pour définir son propre chemin.
Un modèle en plus, une vision d’ici
Le rapport de la Cour de cassation française offre des voies intéressantes en termes de structuration des données judiciaires, de recherche documentaire automatisée ou même d’écriture d’aide. Mais il insiste également sur les principes substantiels: transparence, frugalité technologique, contrôle humain et respect des droits fondamentaux.
Ces principes font écho à certaines aspirations partagées. Cependant, le Maroc ne peut pas ou doit transposer des appareils sans les contextualiser. Parce que notre justice est basée sur des fondations spécifiques:
– une constitution qui articule les devoirs universels et nationaux;
– une culture juridique alimentée par la pluralité des sources de droit;
– et une éthique publique en dialogue permanent avec les principes de l’islam, éclairés par les conseils des ulémas.
Une base marocaine pour une IA judiciaire éthique
Dans un article précédent, nous avons proposé que la Cour des auditeurs du Maroc puisse lancer une évaluation des politiques publiques de l’intelligence artificielle. C’était une proposition d’anticipation, destinée à jeter les fondements d’un audit souverain, progressif et éthique de l’IA dans les institutions.
Dans le domaine judiciaire, la même logique pourrait s’appliquer, avec encore plus de rigueur et de vigilance. Parce que ce n’est pas une question ici de gagner de la productivité, mais de préserver les soldes du procès équitable, la légitimité du juge et la confiance des citoyens dans le système judiciaire.
Cinq pistes pour une approche marocaine
1. Créez une cellule de surveillance et d’éthique sur l’IA judiciaire, attachée à la cour marocaine de cassation ou au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire.
2. Définir une charte marocaine pour l’utilisation de l’IA en justice, en dialogue avec les valeurs de l’islam, les exigences de transparence et les impératifs de la souveraineté.
3. Formez des magistrats aux défis de l’IA: non pas les transformer en techniciens, mais pour leur permettre de garder les mains, sciemment.
4. Évitez toute forme de délégation de la décision judiciaire à une IA, quelle que soit sa sophistication.
5. Promouvoir un débat national pluraliste, associant des avocats, des informaticiens, des sociologues, des ulémas et des citoyens.